« L’Institut Camille Miret n’a rien à envier à d’autres Centres Hospitaliers »

Le Dr Yaméogo est la présidente de la CME de l’Institut Camille Miret. Nous nous sommes assis avec elle pour une interview à Figeac, l’occasion de revenir sur son parcours, ce qui l’a amenée à travailler au sein de l’ICM, et les atouts de l’institut pour de jeunes, ou moins jeunes, actifs.

Vous avez plusieurs métiers et un parcours divers. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai été formée à la faculté de médecine de Tours et j’ai ensuite effectué un internat de psychiatrie sur l’académie Antille-Guyane. A ce titre, j’ai effectué des stages en Guadeloupe et en Martinique. J’ai eu la chance, pendant ces quatre années, d’effectuer un an et demi à Paris, dans des Centres Hospitaliers de renom, comme Sainte-Anne et Bobigny avec le service de psychiatrie transculturel et en addictologie.

J’affectionne beaucoup la psychiatrie institutionnelle, qui est née du mouvement anti-psychiatrie des années 60. Ce mouvement consiste à considérer l’institution, c’est-à-dire le lieu où le soin va se produire, pas seulement comme un lieu mais d’abord comme un dispositif de soins. Les soignants et les soignés y sont sur un pied d’égalité et participent à la vie de l’institution de façon partagée et équilibrée.

Ce sont des modèles qui ont démontré une forte efficacité dans l’accompagnement de maladies aussi sévères que la schizophrénie et la bipolarité et qui ont donné, à la psychiatrie de secteur, le visage que l’on connaît aujourd’hui.

Dans l’histoire de la psychiatrie de l’avant-guerre, vous aviez des asiles, comme le site de Leyme, qui étaient souvent situés très loin des villes parce qu’il y avait l’idée d’éloigner les personnes qu’on appelait des aliénés, aussi par mesure de protection. On n’avait pas les mêmes outils thérapeutiques qu’on peut avoir aujourd’hui.

Et avec ce mouvement de la psychiatrie institutionnelle, on a pu rapprocher les personnes qui souffraient de troubles psychiques de leurs milieux habituels et surtout de l’intégration socio-professionnelle.

La psychiatrie de secteur, qui consistait à avoir des centres de santé près du domicile des patients, est née à ce moment-là. On a tendance à l’oublier, mais certains centres de santé perdurent selon cette dynamique du soin parce que c’est une façon un peu particulière de penser le soin.

Et l’ICM s’est illustré dans ce mode de thérapie institutionnelle.

Qu’est-ce qui vous a attiré ici ?

En partant de Paris, on s’est installé à Nantes pour rechercher un peu d’espace et de campagne. J’y ai travaillé en pédopsychiatrie parce que j’ai cette aspiration pour le soin des enfants. On a voulu aller un peu plus loin encore, et comme je connais le Lot depuis mon enfance parce que j’y allais en vacance, c’est comme ça que j’ai postulé à l’Institut Camille Miret.

C’est aussi le fait de m’intéresser à l’histoire de l’institut, le fait de constater que l’institut avait une forte empreinte même au niveau national. 

Au XIXe siècle, le docteur Jean-Pierre Falret s’est inspiré des modalités de soin de l’institut médico-agricole comme l’ancien asile de Leyme pour développer ces pratiques de soin et en faire la promotion au niveau national. Quand on arrive ici, on sent cette empreinte auprès des soignants dont les parents ont travaillé à l’institut. Il y a un peu une tradition de travail de génération en génération. Ça m’a d’autant plus encouragée. On sent cette histoire et la possibilité de redonner vie à cette modalité du soin qui est très intéressante.

Et on a beaucoup de choses qui s’y prêtent. On a le lieu, on a les locaux, on a des équipes motivées, une direction à l’écoute, et c’est intéressant pour les projets qu’on peut développer.

Ça responsabilise aussi les patients et c’est une vision du soin plus ancrée sur leurs droits. Ça a vraiment révolutionné la façon dont on a pu considérer les personnes porteuses d’un handicap psychique en France. A l’époque, on les considérait souvent comme « pas capables », et le fait de travailler la terre était un moyen de leur redonner un but. C’est souvent à travers cette médiation que la thérapie institutionnelle s’est développée.

Pendant la guerre, les hôpitaux manquaient de rationnement donc il fallait aller travailler avec les agriculteurs du coin pour ramener à manger, tout simplement. Le fait de constater que ces patients mis dans le contexte de travailler la terre en étant accompagnés par des personnes qui n’étaient pas des soignants, et d’être responsabilisés, de ramener le fruit de leur travail, de le préparer et de participer… C‘était gratifiant, en somme.

Et au niveau de leurs pathologies, ils allaient beaucoup mieux. Donc c’est vraiment grâce à ces circonstances qu’il n’y a plus eu besoin de prouver par A+B que ces modalités de soin étaient très bénéfiques pour les patients.

Malgré tout, sur l’asile médico-agricole, certaines controverses ont subsisté autour du travail dissimulé.

C’est vrai que dans tout système et comme dans toute époque, il y a pu avoir des dérives. Il n’y a encore pas si longtemps, les patients bénéficiaient d’un pécule – donc vous aviez la possibilité d’aider les agriculteurs. L’hôpital Jean-Pierre Falret, à une époque, vendait du lait, et des légumes du potager.

L’idée initiale partait d’un bon sentiment, c’est-à-dire permettre aux patients de se confronter à ce qui se joue dans la réalité, à savoir qu’à partir du moment où vous fournissez un travail, vous bénéficiez d’une rémunération, comme dans la société. Mais effectivement, ça a été vécu par le législateur comme du travail dissimulé. C’est-à-dire qu’on sort des cadres des lois du travail, donc ça n’a plus été possible de fonctionner comme ça. 

Est-ce que au niveau de certains cadres ou médecins, il y a eu des dérives ? Oui, comme partout, mais l’intention initiale n’était pas là. On aurait pu parler de travail dissimulé s’il s’était agi d’un travail sans aucune rémunération. Donc il y a eu cette invention du pécule.

C’est vrai qu’aujourd’hui on est un peu entre les initiatives qu’on aimerait mettre en place, et notre société qui a besoin de contrôle, ce qui n’est pas toujours simple. C’est pour ça que beaucoup d’établissements de thérapie institutionnelle n’ont pas survécu.

Je vous cite un exemple : dans l’hôpital de jour à Paris dans lequel j’ai travaillé, le cuisinier avait presque une fonction soignante. Tous les jours, les patients venaient éplucher les légumes et préparer le repas du midi pour tout le monde, et au fur et à mesure, avec les normes sanitaires, il a dû arrêter de faire appel au petit maraîcher du coin pour acheter les légumes et les fruits. Il était obligé de passer par de gros prestataires donc on avait de moins en moins besoin de faire participer les patients.

Et donc cet atelier cuisine qui leur permettait de travailler beaucoup de choses, dont l’autonomie, n’a plus été possible — ce qui est dommage, parce qu’aujourd’hui on ne peut plus envisager ce genre d’initiative.

En général, comment caractériser la différence entre les différents hôpitaux dans lesquels vous avez travaillé en centres urbains et dans le Lot ?

L’Institut Camille Miret n’a rien à envier à beaucoup d’autres centres hospitaliers. On a souvent l’idée que parce qu’on est un petit centre isolé dans un territoire rural, on offrirait des soins de moins bonne qualité.

En arrivant ici, j’ai eu la bonne surprise de voir que ce n’était pas du tout le cas.

On a vraiment des professionnels qui sont très motivés, et surtout qui sont très demandeurs de rester en phase avec la remise à jour des connaissances, avec les recommandations de bonne pratique. C’est très confortable de travailler à l’Institut Camille Miret. Osons nous valoriser, parce que malgré le manque de moyens, on arrive encore à proposer des soins de très grande qualité.

 

Quels sont les atouts de l’Institut Camille Miret pour attirer de nouvelles recrues ?

La qualité du travail, le cadre, le mode de vie dans le Lot peut attirer de jeunes, et moins jeunes, actifs. Ici, à Figeac, vous avez plus de 65 associations culturelles, vous avez des écoles aux effectifs tout à fait raisonnables. Le Lycée Champollion, c’est le 145e sur la moyenne nationale, il n’y a pas de pertes de chance. Ici, les effectifs des classes sont à taille humaine.

Certes, on n’a pas les plus grands centres commerciaux, on n’a pas un choix illimité dans les multiplexes, mais pour des gens qui aspirent à être à la campagne, on a des critères intéressants.

Après, au niveau de l’Institut, si on arrive à faire renaître cette empreinte de la thérapie institutionnelle, on peut se démarquer.

Comment est-ce que l’ICM, par sa singularité, peut faire la différence quand une personne va postuler dans un centre hospitalier qui a les mêmes critères ?

Peut-être parce qu’il y a cette spécificité au niveau du soin, des projets un peu novateurs qui se font et de retrouver des projets pionniers.

Plus vous développez une pratique spécifique, plus vous développez une recherche qui, justement, attire certains professionnels qui recherchent ces pratiques.

Il nous faut davantage de moyens humains, mais ces pratiques peuvent justement devenir un cercle vertueux pour attirer plus de soignants.