« Humanisme ne veut pas dire angélisme »

Difficile de rater l’Unité Fermée d’Hospitalisation et de Crise (UFHC) de Leyme, avec ses deux bâtiments d’isolement en fer qui dépassent d’une architecture déjà sévère, et pour cause : l’UFHC, c’est là où se trouvent les fameuses chambres d’isolement. Mais la réalité de la mise en isolement est à mille lieux de ce qu’on imagine, nous dit le Dr Pierre Saunière, en charge du service. (Deuxième Partie)

L’UFHC est associée à une image très sévère et à des clichés tenaces, comme celui des chambres capitonnées par exemple. Qu’en pensez-vous ?

J’interviens en prison pour des expertises, et ça n’a rien à voir avec le degré de sécurité qu’on peut avoir ici.

En revanche, il ne faut pas faire d’angélisme : le service est fermé, il y a des barreaux aux fenêtres, et on prend des précautions pour assurer la sécurité des patients et du personnel soignant.

Humanisme ne signifie pas angélisme, ou naïveté. Dans certains cas, des mesures coercitives sont temporairement nécessaires.

 

Combien avez-vous de patients ?

On en a une quinzaine, et l’unité est pleine à 90%, mais on essaie de garder une place ou deux pour les urgences et pour des hospitalisations imposées par la préfecture.

L’idéal, c’est de garder deux places libres pour les hospitalisations à venir.

Et comment prenez-vous ces décisions coercitives ?

La question qui se pose, c’est celle de la chambre d’isolement. Le service a trois chambres d’isolement en plus des chambres habituelles. Les patients qui sont placés en chambre d’isolement disposent également d’une chambre dans le service en prévision de leur sortie.

Il y a beaucoup de régulation ou de « tri » en amont, pour éviter les hospitalisations inutiles ou inadéquates. On a des interlocuteurs, on essaie de projeter l’offre de soin la plus adaptée selon tel ou tel état, selon qu’il a déjà été vu.

On se base sur l’appréciation clinique au moment de l’entrée du patient, et là on peut décider selon son état de lui proposer d’aller dans le service ou de lui imposer la chambre d’isolement.

Par exemple, quelqu’un qui se sent extrêmement persécuté, qui va avoir le sentiment qu’on va lui tirer dessus, qu’il y a des snipers sur les toits et un contrat sur sa tête, et qui va, dans sa logique de pensée, se sentir menacé par nous –  et en réponse, va nous menacer, c’est quelqu’un qui, selon son état de tension ou de véhémence, va être placé en chambre d’isolement, au moins pour une période d’évaluation, mais pour une période courte.

Cela arrive souvent ?

C’est moins de un patient sur deux, ce qui se situe dans la moyenne nationale pour ce type d’unité.

Ce qui marche le mieux, en terme de gestion de la violence, que ce soit contre soi-même ou les autres, ce sont des équipes soudées, qui sont au contact des patients, qui sont respectueuses et tolérantes par rapport à la parole donnée, qui vont respecter les patients et leurs droits. 

Ce sont aussi des équipes qui s’entendent bien entre elles, où le médecin et l’encadrement sont près du patient et pas dans une gestion verticale de l’équipe.

Assez récemment, une plateforme d’activités socio-thérapeutiques a permis de mieux structurer le planning des patients et de leur donner des repères, tout en leur permettant de travailler sur le contrôle de soi et de favoriser les interactions relationnelles.

L’art de « l’encadrement », c’est d’être dans l’équipe.

Avec Mathieu Virole (un des cadres) ou le Dr Antonin Corre (psychiatre de l’Unité de Psychopathologie des Conduites Addictives), on est intégré aux équipes pour accompagner les patients au jour le jour en essayant le plus d’être dans une relation de partenariat.

Combien de professionnels travaillent à l’UFHC ?

Une trentaine de professionnels travaillent ici. On a une pluridisciplinarité : des AHQ (Agents Hôteliers Qualifiés), des infirmiers, des médecins généralistes, des psychiatres, des aides-soignants, une psychologue, une assistante sociale, ceux qui animent les activités thérapeutiques.

Les tutelles insistent beaucoup sur les alternatives aux chambres d’isolement. Les chambres d’isolement sont stigmatisées — à mon sens, en excès — mais cette focalisation sur l’isolement a comme effet positif de nous inciter à toujours trouver davantage d’alternatives aux mesures coercitives et de sensibiliser l’institution.

On s’est appuyé sur cette politique pour obtenir des moyens supplémentaires en terme d’activités thérapeutiques. On a quasiment une activité thérapeutique par jour, on a de l’activité physique adaptée comme l’ergothérapie, de l’art-thérapie, de la psychomotricité et une psychologue.

Le temps de psychologue est également crucial dans la prévention des passages à l’acte en général et de la violence en particulier. Notre demande de prise en charge non-médicamenteuse a été étayée par les alternatives aux mesures coercitives de la chambre d’isolement.

Ça ne veut pas dire que la chambre d’isolement soit délétère, mais elle doit être prescrite en dernier recours.  

 

Vous disiez que la chambre d’isolement était stigmatisée à l’excès.

Dans la grande majorité des cas, nous en percevons le bénéfice pour les patients qui y séjournent.

La chambre d’isolement, c’est un soin. Ce n’est pas un soin par défaut, ou quelque chose dont on doit se sentir coupable.

Je ne voudrais pas avoir mauvaise conscience, et les équipes non plus, à chaque fois que je prescris une chambre d’isolement ou que les équipes le suggèrent.

Pour autant, c’est intéressant de développer d’autres types de prise en charge, sur les troubles de personnalité ou de l’humeur.

Quelle est la différence entre les troubles de la personnalité et les troubles de l’humeur ?

Les troubles de personnalités, ce sont surtout des gens qui sont instables et qui sont en difficultés pour gérer leurs émotions et leur impulsivité. Les personnalités état-limite (ou borderline ou émotionnellement labiles) en font partie.

Les troubles de l’humeur, ce sont les syndromes dépressifs ou les crises suicidaires.

Mais les activités thérapeutiques ont vraiment fait leurs preuves sur les troubles de la personnalité ou les syndromes dépressifs, et on est heureux d’avoir pu développer cette offre de soin non-médicamenteuse. 

On espère que ça permettra d’avoir moins de journées passées en chambre d’isolement, mais en soi, c’est quelque chose qui me semble être un phénomène collatéral mais pas une fin en soi.

Il ne faut pas trop stigmatiser les chambres d’isolement.