09.01.2025
« Il faut toujours s’interroger sur le bien-fondé d’une privation de liberté »
La question de la privation de liberté est cruciale en matière d’hospitalisation sans consentement – et le droit du patient la priorité absolue de l’Unité Fermée d’Hospitalisation et de Crise (UFHC), située à Leyme, qui travaille étroitement avec la justice pour garantir que ces droits soient respectés. Le Dr Pierre Saunière, en charge du service, nous en dit plus. (Troisième partie)
Depuis que vous êtes ici, avez-vous vu le type de cas que vous recevez évoluer au sein de cette unité de crise ?
C’est difficile de juger à mon échelle, ça n’a pas beaucoup de valeur sur une petite unité. Néanmoins, j’ai le sentiment qu’il y a plus de troubles de la personnalité, c’est-à-dire des pathologies à mi-chemin entre la psychose et les névroses.
Au niveau des « toxiques », il y a de plus en plus d’utilisateurs de cocaïne ou de crack, là on voit une différence depuis quelques années.
Pour le COVID, on en a bavé, mais surtout parce que les mesures d’hygiène étaient pénibles. Il fallait venir avec un masque, parfois une combinaison, ce qui compliquait les choses.
Le COVID a tout de même eu des conséquences sur certains jeunes qui viennent nous voir en disant que cette période les a marqués et qu’il y a eu des conséquences souvent négatives au niveau de leurs études, de leur travail, ou ils ont perdu des proches — mais ça reste quand même relativement marginal.
D’où viennent vos patients ?
On accueille des patients de tout le Lot. On accueille parfois des gens hors-secteur, c’est-à-dire qu’ils sont par exemple en voyage pathologique et ils décompensent dans le département.
On organise parfois des rapatriements sur leur département. Ce sont des voyages qui sont très organisés, très codifiés, surtout que ce sont des soins sous contrainte, avec un cadre médico-légal très rigoureux.
Comment travaillez-vous avec les autorités ?
Heureusement que les secrétaires sont là (rires). On a énormément de certificats à faire quotidiennement. On a énormément de certificats à faire. C’est très long, c’est très prenant. Certains certificats sont liés à la privation de liberté, certains certificats sont liés aux isolements, au fonctionnement avec le juge des libertés. Les secrétaires et le bureau des entrées nous guident dans ces démarches.
On essaie de faire ça assez rapidement pour ne pas perdre trop de temps, mais ça s’alourdit depuis 2021, depuis la mise en place de la loi régissant les contentions.
Et que pensez-vous de cette loi ?
Globalement, c’est une bonne chose ! On a été plutôt dans cette approche pluridisciplinaire et dans le questionnement de la légitimité d’une privation de liberté, d’une mesure d’isolement.
On est content d’avoir un regard extérieur.
Notre juge des libertés est très rigoureux, il lève souvent des mesures sous contraintes sur des vices de forme, ce qui est normal, ou sur des mesures non adaptées.
Ça nous fait nous interroger sur la notion de péril imminent et sur la notion d’urgence, ce qui nous rend plus vigilant avant l’hospitalisation par rapport au cadre de la décision de privation de liberté.
Même si on peut râler sur certaines mesures de levées, en réalité, ça a été une évolution positive parce que ça nous a obligé à être plus rigoureux sur les conditions de privation de liberté, et les patients en bénéficient.
Certaines mesures ont été levées par le juge, les patients sont sortis et ça s’est bien passé. Dans ces cas-là, l’hospitalisation était peut-être excessive. Le fait d’avoir un regard neutre, de magistrat, c’est globalement positif.
Pouvez-vous définir le concept de péril imminent ?
En cas de péril imminent, il faut que la situation de la personne représente un péril « immédiat » pour motif psychiatrique et qu’il n’y ait pas de tiers qui soit présent, disponible ou accessible.
Ces deux conditions doivent être remplies. Cela mène à une hospitalisation sous contrainte en péril imminent, avec un certificat médical sans demande d’un tiers.
Si la situation est un cas de grande urgence, mais avec un tiers, il faut toujours privilégier une hospitalisation à la demande d’un tiers. C’est l’hospitalisation à la demande d’un tiers urgente. On peut se satisfaire d’un seul certificat médical.
Et après c’est la procédure de droit commun, l’hospitalisation à la demande d’un tiers et deux certificats médicaux, dont un signé par un médecin qui ne fait pas partie de l’établissement d’accueil.
Donc le cadre légal est très strict en matière d’hospitalisation sans consentement ?
Il y a des garde-fous pour que ce ne soit pas arbitraire.
Après cette demande d’admission, un certificat médical est établi 24 heures après, et un autre 72h après qui établissent le bien-fondé de cette demande initiale.
Cela nous arrive souvent de prononcer des levées d’hospitalisation après 24 heures ou 72 heures si on estime que les conditions du soin psychiatrique ne sont pas réunies.
Il faut trois conditions pour justifier un soin psychiatrique sans consentement en unité fermée.
Il faut que la problématique soit psychiatrique, et ne relève pas seulement du judiciaire. Il faut que la personne s’oppose au soin et il faut que les soins ne puissent pas être possible en dehors d’un cadre hospitalier.
On peut imaginer, par exemple, que les soins soient nécessaires mais que leur mise en place puisse être faite en ambulatoire — auquel cas, l’hospitalisation ne se justifie pas. C’est une définition très stricte.
La psychologue de l’unité voit aussi systématiquement les patients au sortir de la chambre d’isolement pour apprécier leur ressenti et éventuellement les conséquences négatives de cette mesure coercitive pour prévenir les conséquences plus graves, qui pourraient relever du syndrome de stress post-traumatique.
On a mis cela en place pour être le plus vigilant possible par rapport aux conséquences de la mise en isolement.
Vous devez donc toujours garder un œil sur vos propres décisions ?
Oui, et il faut toujours s’interroger sur le bien-fondé de cette décision.
Les patients sont vus une fois par heure en chambre d’isolement, deux fois par le psychiatre, une fois par le médecin généraliste toutes les 24 heures. C’est un suivi ultra rigoureux.
Comment et pourquoi décidez-vous qu’un patient peut sortir de l’unité ?
Les patients me demandent souvent : « Quand est-ce que je vais sortir ? »
Je leur dis: « Ecoutez, moi, je n’ai pas du tout intérêt à ce que vous soyez là, je n’ai pas du tout intérêt de vous garder en hospitalisation parce que j’ai besoin de place, » ce qui est vrai, et vous allez m’aider à vous faire sortir le plus vite possible. »
Il faut un moment où les gens comprennent ça et soient capables de faire confiance à un psychiatre qui leur dit : « Je vais vous aider à sortir le plus vite possible, mais par contre, essayez de me montrer que vous êtes autonome, que vous avez un comportement adapté et que vous avez un discours cohérent. Dans quelques jours, on fera le point et si tout va bien, vous sortirez. »
Les gens qui arrivent à s’adapter à ces consignes et à ce partenariat, c’est très bon signe.
Comment analyser ces traits, qui peuvent être associés à l’utilisation de la manipulation pour sortir de l’UFHC ?
Le meilleur exemple, c’est celui des toxicomanes qui sont hospitalisés à la demande de leurs proches parce que leurs proches estiment qu’il existe une mise en danger très inquiétante.
On n’est pas là pour porter un jugement de valeur si c’est bien ou mal de se droguer. Ça peut paraître un peu particulier, mais je n’ai pas le droit de priver quelqu’un de liberté uniquement parce qu’il a décidé de se droguer.
Si c’est son choix, la question du libre-arbitre se pose.
Mais si on a une « commande » d’une famille qui demande à ce que quelqu’un soit privé de liberté pour qu’il puisse se sevrer de l’héroïne, et que, au bout de quelque chose, on voit que la personne se comporte correctement, qu’il a un comportement adapté à une vie en collectivité, on peut décider d’une sortie.
En somme, si vous voyez les signes d’une faculté d’adaptation, c’est bon signe.
C’est un des signes indiquant qu’il n’y a pas de problèmes psychiatriques.
En psychiatrie, il ne faut pas s’ériger en moralisateur. Il ne faut pas se sentir dépositaire d’une fonction normative, moralisatrice, idéologique, politique, philosophique ou religieuse. C’est ultra-important.
On essaie d’être adogmatique. Ce n’est pas évident, parce qu’on a nos valeurs. Mais mes valeurs n’ont pas à entrer en ligne de compte dans la décision d’un maintien des soins ou pas.
C’est pour ça que c’est important d’en discuter et de le partager avec les équipes.
Quelqu’un qui est dangereux d’un point de vue social mais ne relève pas de la psychiatrie devra sortir de psychiatrie, même si, à l’extérieur, il y a un danger potentiel pour d’autres citoyens.
Ça ne veut pas dire qu’on fait n’importe quoi, on essaie d’organiser les choses pour que, si un individu est particulièrement dangereux, même en dehors du champ psychiatrique, on essaie d’organiser les choses en articulation avec les forces de l’ordre et la justice.
Mais là, on est dans une situation de non-assistance à personne en danger, c’est encore autre chose.
Ce que je veux dire, c’est qu’on n’a surtout pas un rôle moralisateur à l’UFHC.