« La psychiatrie est une chambre d’écho de la société »

Le docteur Bernard Kierzek, psychiatre, est le médecin-chef du Pôle clinique 1 (Sud du Lot) à l’Institut Camille Miret. Nous avons eu l’occasion de le rencontrer pour une interview-portrait pour évoquer son parcours, sa vision de la psychiatrie et les défis du métier. (2ème Partie)

Quels nouveaux phénomènes et pathologies avez-vous eu l’occasion de remarquer récemment ?

Dr Kierzek : Dans le champ de la psychiatrie adulte, d’abord la schizophrénie. On m’avait expliqué que le tableau de la schizophrénie n’évoluait pas.

Ce qu’on en a constaté depuis quelques années c’est une plasticité des symptômes qui s’adaptent à l’environnement. Ce qui fait qu’à l’heure actuelle les modes d’entrées dans la schizophrénie à l’aide de psychotropes sont de plus en plus importants.

La schizophrénie est un mot fourre-tout, mot un peu lourd, comment on déstigmatise ce mot ?

Ce matin, je lisais le message de quelqu’un qui disait qu’il fallait abandonner le terme de schizophrène – je ne suis pas du tout d’accord. Il ne faut pas mettre sous le tapis, mais il faut expliquer. On sait très bien que dans notre société, nous avons 2% de personnes qui sont schizophrènes. Mais on n’en a pas 1% qui sont hospitalisés. Certains vivent très bien ! Il y en a même qui deviennent dictateurs (rires). On ne donnera pas de noms, promis. 

 Plus sérieusement, il faut garder ce terme là mais il faut l’expliquer. Il faut continuer dans notre rôle de chambre d’écho et de porte-parole. Il faut que le psychiatre arrête de se taire. Il se doit de dire. On nous fait beaucoup de procès en disant qu’on n’intervient jamais, qu’on n’est jamais là quand il faut.

Oui, mais n’oublions pas la citation de Jankelevitch qui disait que le conflit c’est souvent un malentendu. Mais le problème du malentendu c’est que c’est souvent un des deux qui n’entend pas, et parfois les deux.

Quels autres phénomènes avez-vous pu recenser ?

Le deuxième exemple est beaucoup plus préoccupant.

Nos collègues de la pédopsychiatrie nous annoncent des chiffres effarants chez les d’adolescents avec des troubles de l’agressivité et des troubles du comportement, qui vont basculer après dans le champ de l’adulte. Et là, on est très mauvais dans l’articulation de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie adulte, ce qui complexifie la situation.

La réponse à l’âge adulte, c’est la balle de flipper entre la prison, la justice et la psychiatrie.

 

Dans le champ de l’autisme on a une certaine stabilité. On diagnostique de plus en plus tôt, mais on a une certaine stabilité. Et bien évidemment notre grosse difficulté ce sont les troubles de la personnalité pour lesquels on a beaucoup de difficultés.

Et quelle est la différence entre les troubles du comportement et les troubles de la personnalité ?

C’est vrai qu’il y a une proximité entre les deux. Quelle compréhension pouvons-nous en avoir ?

Est-ce que c’est un phénomène social ? Est-ce que c’est lié à la problématique de la crise de l’autorité ou à des troubles de la personnalité, donc une structure de la personnalité qui est constitutive de la personne mais interagit avec la société ?

Tout ceci pose beaucoup de questions.

Le COVID-19 a-t-il joué un rôle dans cette recrudescence de troubles ?

Derrière tout ça il y a un autre problème.

La crise du COVID-19 a entraîné des troubles dépressifs chez nos jeunes qui ne vont pas bien.

 C’est une génération sacrifiée, dans une société compliquée.

 

L’isolement, toutes les mesures de confinement qui ont été prises ont entrainé une diminution des liens sociaux de tous ces jeunes qui rentraient en fac. C’est un autre monde ! Et quand il a fallu rentrer chez papa et maman, ça a rajouté des interrogations quant à l’avenir.

Après, l’adolescence a toujours été un moment compliqué.

Oui, mais ce moment compliqué trouvait à se résoudre beaucoup plus facilement. Alors que là, avec la crise du COVID-19, il n’y avait plus de réponses à cette recherche d’identité. Et derrière tout ça, on est quand même dans une crise de société à mon sens très importante. La psychiatrie est une chambre d’écho.

Il y a la pathologie, mais on est aussi chambre d’écho des phénomènes de société.

L’exemple actuel, ce sont les transgenres. On a un accroissement du nombre de demandes de jeunes qui viennent consulter pour des interrogations quant à leur identité sexuelle. Beaucoup demandent des traitements hormonaux, on est dans un truc complètement fou.

C’était déjà le cas dans les pays scandinaves qui sont revenus en arrière d’ailleurs en établissant une interdiction de prescrire une hormonothérapie chez des mineurs. Or, on voit bien que toutes ces interrogations qui existaient déjà étaient comprises comme un moment de crise d’adolescence.

A l’heure actuelle, beaucoup de ces adolescents sont dans un je de « toute puissance, » d’un « droit-de » et dans l’immédiateté.

 

Mais cette interrogation peut aussi être légitime.

Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais il y a probablement confusion entre un trouble de l’identité sexuelle et la crise d’adolescence. Il faut prendre un peu de recul face à ces multiples demandes et replacer ce genre d’interrogations dans le champ de la crise d’adolescence.

Mais il ne faut pas ignorer la sollicitation qui nous est faite. On entre là dans le champ de la santé mentale dont la psychiatrie n’est qu’une partie.