« Les pédopsychiatres sont en voie de disparition  »

Docteur Sonia Rabuteau est, entre autres fonctions, pédopsychiatre à Élan’Go et Hop’Ti’Mom, unités d’hospitalisation qui prennent en charge les enfants et les adolescents en besoin de soins au sein du Centre Hospitalier Jean-Pierre Falret de l’Institut Camille Miret. Nous nous sommes assis avec elle pour en savoir plus sur les difficultés du secteur. (2ème partie)

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rôle à l’ICM et les difficultés auxquelles vous êtes confrontée ?

J’essaie d’être un peu partout puisque les pédopsychiatres sont un peu devenus une espèce en voie de disparition. Bientôt, on va nous empailler pour montrer à la postérité que nous existions (rires).

Nous avons de la chance d’avoir encore des pédopsychiatres dans le département. Nous sommes peut-être moins dotés par rapport à certains territoires, mais nous essayons d’assurer la même qualité.

La psychiatrie, c’est un peu le parent pauvre de la médecine, et la pédopsychiatrie encore plus.

Il y a, bien entendu, la question de l’attractivité, les fameux numérus clausus, qui ont longtemps été assez durs pour la filière. C’est difficile d’attirer de jeunes médecins qui ont plutôt envie d’exercer dans les CHU.

Nous rencontrons des difficultés à recruter des internes, mais ce n’est pas uniquement en pédopsychiatrie et ici. Ce sujet de préoccupation est un sujet national. Pour autant, nous avons tout de même plutôt de bonnes expériences. Nous sommes d’ailleurs plébiscités par nos partenaires.

 

A quel point l’isolement du Lot impacte-t-il votre travail ?

Il est vrai que Lot, est un peu replié sur lui-même. Il reste qu’il est intéressant de voir à quel point notre petit service au fin fond de la campagne, est connu.

Nos partenaires savent très bien nous situer. Nous avons un travail en partenariat avec nos collègues de la région qui fonctionne bien, et cela nous permet aussi une ouverture au monde.

 

À notre niveau, nous pouvons naturellement, avoir un peu cette tendance à ne pas trop savoir ce qui se passe chez les collègues et encore moins ce qui se passe chez les voisins les plus proches.

Cette ouverture est primordiale. On ne peut pas rester enfermé dans un bureau.

 

Pensez-vous que cette situation d’isolement impacte le psychisme des enfants que vous accueillez ici ?

Avant de m’installer dans le Lot, j’ai travaillé quelques années dans le 93. Ce n’est pas du tout, mais alors pas du tout le même contexte. Je me suis rendue compte que finalement, si la forme change, au fond, nous nous heurtons à la même misère et la même souffrance.

Peu importe s’il s’agit une cité qualifiée de pourrie à Séverin-Bordeaux, ou au sein d’un village de campagne. Forcément, la forme est impactée, mais au fond, on retrouve un peu la même chose.

En revanche, au niveau de l’offre de soins, de l’accès aux soins, et de la manière dont on pense aussi les soins, bien sûr, ce n’est pas la même chose.

Si nous prenons le critère du nombre de soignants per capita, évidemment, c’est différent. Cet aspect géographique, cet isolement, il faut impérativement en tenir compte.

Ce n’est pas la même chose si pour passer d’un service à l’autre, vous traversez juste le couloir ou la rue, ou si vous prenez un métro et qu’en 15 minutes, vous êtes arrivée à destination.

Ici, pour rencontrer des collègues, il faut traverser le département. L’ambulatoire, c’est Cahors, c’est Figeac, c’est Saint-Céré. Oui, il faut effectivement un déplacement. Et donc cela a obligatoirement un coût.

 

Parce que le temps du déplacement, je ne suis pas ailleurs. Et on a besoin d’’être en lien, en contact avec les collègues, d’échanger régulièrement.

On nous reproche qu’on aime faire des réunions. Peut-être qu’on parle un peu trop, c’est peut-être un peu stérile, et l’on a peut-être un peu du mal à prendre des décisions. Mais on ne peut pas prendre correctement en charge des patients si on ne prend pas le temps de réfléchir.

Pour réfléchir, il faut pouvoir s’écouter, il faut avoir le temps. Mais il faut aussi avoir une personne avec qui on réfléchit. Parce que si je ne réfléchissais qu’avec moi-même, je me mettrais d’accord assez facilement.

Et ce serait bien de pouvoir réfléchir avec les collègues qui viennent de loin. Mais concrètement, cela n’a rien d’évident.

Prenons un exemple : l’accès aux formations. Ici, c’est tout de suite plus compliqué que dans une grande ville. À Paris, à Toulouse, tous les jours, vous avez des soirées, des colloques auxquels vous rendre pour rencontrer vos collègues. Ici, c’est plus difficile.

 

Là, on dit encore une fois, merci le confinement, cela nous a permis de découvrir la visio et de faciliter certaines choses. Mais il est impossible de tout faire en visio.

Nous avons tous besoin d’un contact spontané, sauf qu’ici, avec cet isolement qui nous caractérise, ce n’est pas évident.

Justement, quel impact le COVID a-t-il eu sur les patients que vous accompagnez ?

Nous avons nettement l’impression qu’il y a un avant et un après, mais je ne crois pas que le COVID soit la cause de quelque chose mais plutôt un catalyseur.

C’est une expérience qui était assez particulière, et affectivement certains contextes de confinement se sont révélés difficiles. Si l’on se retrouve confiné au moment, par exemple, de l’adolescence, alors que l’on a un besoin de quitter la famille, d’aller vers les autres, c’est très difficile à vivre.

Nous nous sommes néanmoins rendu compte que pour certaines personnes, ce n’était pas le confinement qui avait été difficile, c’est le dé-confinement.

Pour certains, il a été difficile de se confronter à nouveau au monde parce que, finalement, c’était déjà la relation à l’autre qui était difficile.

Je pense que l’on a assisté à un changement de paradigme. Dans cette relation à l’autre, cet accès à l’autorité dont on a parlé tout à l’heure, quelque chose s’est fragilisé depuis longtemps. Et justement, se retrouver en dehors de l’autre, à la maison, en visio, finalement c’était bien : On parvenait à faire sans l’autre.

Nous, pendant le confinement, on ne savait pas à quoi s’attendre. On s’est dit : Ils vont tous décompenser et on n’a pas les dispositifs. En fait, c’est surtout au moment du dé confinement que l’on a vu venir certains profils de patients, avec une épidémie de phobie scolaire, de phobie sociale, et d’immenses difficultés relationnelles.

 

De nouveau, nous avons assisté au retour des scarifications. De nouveau, une épidémie d’anorexie, des troubles de comportement alimentaire s’est développée. On ne peut pas tout mettre sur le dos du COVID, mais cela a indéniablement accentué certains problèmes.

 

Existe-t-il un lien avec le COVID ? Je ne le sais pas. Mais ce que je sais, c’est quand je ne peux pas penser, quand je ne peux pas dire, c’est par le corps que je m’exprime.

C’est un phénomène qui, à mon sens, a toujours existé, mais c’était un peu plus lent avant. Maintenant, cela va tellement vite.

On voit que c’est une source d’angoisse. Même au niveau de la société, on entend un peu les appels du retour à l’autorité, aux extrêmes, du type: “On a trop lâché.”

Oui, cette montée des extrêmes a, pour moi, un petit lien avec les angoisses.