30.05.2024
« Nous sommes un pilier de la liberté des gens parce qu’on nous confie cette liberté-là »
Le docteur Bernard Kierzek, psychiatre, est le médecin-chef du Pôle clinique 1 (Sud du Lot) à l’Institut Camille Miret. Nous avons eu l’occasion de le rencontrer pour une interview-portrait pour évoquer son parcours, sa vision de la psychiatrie et les défis du métier. (3ème Partie)
Dans de nombreux pays post-soviétiques, la psychiatrie a longtemps été utilisée comme un instrument pour éteindre les dissidences. Votre collègue, Dr Edmond Manouelian, nous disait que la psychiatrie ne doit pas devenir un régulateur social. Que pensez-vous de cette position?
Dr Kierzek : Effectivement, le concept de schizophrénie sociale a été inventée par nos amis camarades soviétiques à l’endroit des dissidents. Le plus célèbre étant Leonid Plioutch (NDLR: mathématicien ukrainien et dissident soviétique interné en hôpital pour s’être opposé au régime communiste).
Les dissidences étaient considérées comme des symptômes psychiatriques. Et c’est là que ça nous renvoie à la place du psychiatre dans la société et à son éthique.
Nous sommes garants de la liberté des patients.
On se doit de garantir cette liberté et de la rendre. En ce sens, on est aux avant-postes de l’éthique à laquelle nous sommes extrêmement sensibles. C’est le droit des patients que l’on se doit de respecter. Pour autant, notre exercice touche également à la responsabilité sociale qui peut être la nôtre.
Par exemple ?
Le premier exemple, c’est la tuerie de Nanterre (NDLR – lorsque dans un acte “de démence suicidaire,” Richard Durm a ouvert le feu sur le conseil municipal de Nanterre, tuant 8 personnes et en blessant 19 autres). Manifestement, c’était quelqu’un qui avait présenté des problèmes psychiatriques d’où les interrogations concernant son suivi.
Autre problématique, celle du terrorisme. Quand on lit les études sur les radicalisés, on s’aperçoit que le nombre d’individus ayant présenté des troubles psychiatriques n’est pas aussi important que cela. Confondre le terrorisme avec des troubles mentaux, c’est encore une fois stigmatiser le trouble psychiatrique et reprocher à la psychiatrie de ne rien faire.
Mais nous savons qu’il y a aussi des patients qui, à travers leurs délires, s’accaparent une idéologie islamiste. Il s’agit là d’un véritable trouble psychiatrique. Peut-on dès lors se situer autrement en tant que médecin qui se doit de prendre en charge une souffrance.
Par ailleurs, un collègue a été condamné parce qu’il n’a pas pris assez de précautions dans la prise en charge d’un patient qui est passé à l’acte. On touche là à une responsabilité très importante que l’on se doit d’assumer. Mais cette responsabilité, il faut aussi nous donner des moyens de l’exercer. Sachant cependant que le nombre de passages à l’acte chez les schizophrènes est inférieur de moitié au nombre de passages à l’acte en général.
Ça veut bien dire que tous les schizophrènes ne vont pas passer à l’acte. On a un discours à porter, ce sont des malades d’abord et pas des criminels. Les enjeux sont très forts.
Quels autres phénomènes avez-vous pu recenser ?
Le deuxième exemple est beaucoup plus préoccupant.
Nos collègues de la pédopsychiatrie nous annoncent des chiffres effarants chez les d’adolescents avec des troubles de l’agressivité et des troubles du comportement, qui vont basculer après dans le champ de l’adulte. Et là, on est très mauvais dans l’articulation de la pédopsychiatrie et de la psychiatrie adulte, ce qui complexifie la situation.
La réponse à l’âge adulte, c’est la balle de flipper entre la prison, la justice et la psychiatrie.
Dans le champ de l’autisme on a une certaine stabilité. On diagnostique de plus en plus tôt, mais on a une certaine stabilité. Et bien évidemment notre grosse difficulté ce sont les troubles de la personnalité pour lesquels on a beaucoup de difficultés.
Et comment soigne-t-on des patients qui ne veulent pas se faire soigner ?
Il y a des personnes qui ne veulent pas se faire soigner, qui sont chez eux. On nous demande alors d’intervenir dans une urgence qui n’en est pas une. Il y a le choix du patient qui se doit d’être respecté. Qu’en est-il de ce refus, et qu’en est-il de sa santé ?
On peut entendre que les gens qui travaillent dans le social sont démunis face à cette situation. Mais nous pouvons l’être aussi, et on ne résout pas le problème de quelqu’un qui ne veut pas se faire soigner par un arbitraire. Qu’est-ce qu’on fait, on l’hospitalise sous contrainte ? Et de quel droit ?
Est-ce qu’il n’y a pas un danger à ôter au patient son libre arbitre ?
Après les événements dramatiques de Pau (le double meurtre de deux aides-soignantes au CHP de Pau en 2004 par Romain Dupuy, un ancien malade du CHP soigné pour schizophrénie), il a été mis en place une nouvelle procédure administrative concernant le suivi des patients sous contrainte. Il s’est agi de réinscrire la psychiatrie dans le champ du sécuritaire auquel les psychiatres ne sont pas insensibles.
Est-ce qu’à un moment donné il ne faut pas obliger la personne à se faire soigner ou tout au moins à rencontrer un professionnel ? J’ai beaucoup travaillé avec les toxicomanes, surtout après la loi de 1970 qui disait qu’il fallait obliger les toxicos à rencontrer des spécialistes. J’étais à l’époque contre l’application de loi de 1970. Mais je me suis rendu compte, surtout au moment du SIDA, que non, ce n’est pas parce qu’on oblige quelqu’un à rencontrer un professionnel que la personne perd sa liberté.
Cette loi sur l’obligation n’était pas une coercition mais un moyen pour permettre à la personne d’accéder et d’adhérer aux soins.