06.01.2025
« On travaille pour l’avenir »
Docteur Sonia Rabuteau est, entre autres fonctions, pédopsychiatre à Élan’Go et Hop’Ti’Mom, unités d’hospitalisation qui prennent en charge les enfants et les adolescents en besoin de soins au sein du Centre Hospitalier Jean-Pierre Falret de l’Institut Camille Miret. Nous avons pris un peu de son temps, rare, pour discuter avec elle du soin dans ces unités. (3ème partie)
Pouvez-vous nous en dire plus sur le cadre thérapeutique au sein des unités enfants et adolescents ?
Ici, c’est le cadre que l’on cherche à rendre thérapeutique : c’est vraiment le point de départ. Donc dans le cadre il y a le lieu, mais aussi l’organisation. Les hospitalisations en font partie.
Il y a systématiquement un rendez-vous de préadmission durant lequel nous avons des échanges qui nous permettent de penser le projet. Nous faisons venir l’enfant afin de visiter les services, même si parfois la préadmission se fait aussi en entretien en Visio. Ce n’est pas le plus souhaitable car il n’est pas évident pour un enfant de se présenter pour une Visio.
On s’est fixé un programme d’hospitalisation et déjà, lors de la première hospitalisation, on expose le temps : sept fois en semaine, trois fois en semaine etc… C’est un temps limité.
Le temps est donc aussi encadré : il y a une date d’entrée et une date de sortie. Les choses sont d’emblée très claires.
Il faut garder à l’esprit que ces enfants sont très peu structurés, qu’ils ont développé très peu de liens et qu’ils ont donc très peu de repères. Ce sont des enfants qui sont souvent trimballés d’un lieu à l’autre. D’ailleurs, cela peut arriver que l’enfant rentre dans une structure et ne sache pas quand il va sortir. Là, il voit les parents, là il ne les voit plus. C’est extrêmement flou pour eux.
Il existe des situations où l’on se rend compte que la seule chose qui est prévisible, ce sont les dates d’hospitalisation. C’est tout de même assez dramatique.
Il y a également les cadres thérapeutiques à l’intérieur même du service. La vie du service est structurée, prévisible. C’est quelque chose que l’on cherche à rendre le plus visible et le plus concret possible.
Parce qu’encore une fois, ce sont des enfants fragiles au niveau de la structuration psychique. Si on leur dit : « Mercredi après-midi, tu auras ton atelier pataugeoire », ils ne vont pas se le représenter. En revanche, si on y consacre toute la journée, c’est différent.
La vie du service est aussi très rythmée. Nous avons le temps exclusivement thérapeutique, dédié au soin. Dans le sens un peu plus étroit du terme, ce sont les ateliers thérapeutiques. On utilise beaucoup de médiations thérapeutiques, selon les objectifs, selon les difficultés de chaque enfant, mais aussi selon ses capacités.
Nombre d’enfants accueillis ont besoin de passer par le corps.
Pourquoi cela est-il un champ important de la thérapie ?
Pour les enfants, la mentalisation n’est pas encore accessible. Parler de leur vécu et comprendre : ils n’en sont pas encore arrivés là.
Dans ce cas, il faut passer par le corps, faire un peu une marche arrière dans leur développement et travailler avec quelque chose qui n’a pas été fait quand ils étaient plus jeunes. Nous mettons en place beaucoup de médiations avec eux, nous travaillons avec le corps. Nous voyons alors que l’enfant se pose, s’apaise et que quelque chose commence à apparaître.
Par exemple certains enfants accessibles à la symbolisation se mettent en scène avec des jeux. Avec les enfants, nous utilisons beaucoup le jeu, à but thérapeutique. Un enfant qui joue, c’est un enfant qui va plutôt bien, et l’on se rend souvent compte que les enfants que nous accueillons n’arrivent pas à jouer. Ils ne savent pas jouer tout seul et ont du mal à s’occuper tout seul.
Ce sont des enfants pour qui il est difficile d’aller vers l’autre d’une manière adaptée. Ils ne sont pas en contact avec leur propre univers et c’’est extrêmement compliqué pour eux comme pour les autres.
Pour ces enfants, imaginer, rêver, donner du sens, se rendre compte de la personne que je suis pour pouvoir aller vers l’autre, c’est extrêmement compliqué.
Bien sûr, certains d’entre eux sont tout à fait capables de parler et de dire des choses. Ce qu’il faut retenir, c’est que les projets de soins sont vraiment individualisés et qu’il n’existe pas un projet-type. Parfois, on essaie surtout de faire au mieux dans l’intérêt de l’enfant.
Comment évaluez-vous le succès d’une thérapie ?
Le problème c’est que dans une pathologie aussi lourde à laquelle nous sommes confrontés, il faut du temps. Et ce temps ne dépend pas uniquement de nous : nous sommes un petit maillon dans une grande machine.
La seule chose qui tient à peu près, ce sont les deux semaines de l’hospitalisation séquentielle à Hop’Ti’Mom, mais on ne fera pas de miracle. Personne ne fait de miracle !
Nous travaillons sur un temps long, pour l’avenir et souvent, nous ne verrons pas nous-mêmes les effets.
Mais cela va représenter une expérience corrective et provoquer quelque chose. Je m’explique : un enfant qui, par exemple, passait son temps à exploser, à nous taper, à nous attaquer, au bout de six mois, il revient et il apparaît plus posé.
Au lieu de taper tout de suite, il est capable de s’exprimer et de dire : « Là, je suis en colère. » Il peut alors accepter que nous lui demandions: « Tu étais en colère, qu’est-ce qu’on peut faire ? »
Rien que cela, c’est déjà très important. Cela peut sembler une avancée minime, mais ce n’est pas le cas. Il est vrai que ce n’est pas toujours évident pour les équipes qui peuvent être tentées de baisser les bras parce qu’elles ont le sentiment que le changement n’intervient pas assez vite, « que cela ne change pas trop ».
Il faut se dire aussi, que pour nous, la prise en charge s’arrête à 12 ans, et qu’ensuite on passe la main.
C’est à ce moment précis qu’il est important de se remémorer la situation et de se rappeler d’où venait l’enfant quand on a commencé à l’accompagner.
C’est à ce moment-là que l’on se dit que l’on ne va pas guérir l’enfant, mais que l’on va œuvrer pour qu’il ne sombre pas dans la gravité.
Pour travailler en pédopsychiatrie, il faut être très modeste !