« Prendre en charge les enfants pour éviter les troubles chez l’adulte »

Docteur Sonia Rabuteau est, entre autres fonctions, pédopsychiatre à Élan’Go et Hop’Ti’Mom, unités d’hospitalisation qui prennent en charge les enfants et les adolescents en besoin de soins au sein du Centre Hospitalier Jean-Pierre Falret de l’Institut Camille Miret. Nous avons eu l’occasion d’en savoir plus sur ce service crucial. (1ère partie)

À quelle tranche d’âge s’adresse Hop’ti’Mom ?

C’est une unité pour les jeunes enfants, de trois à douze ans. Un service situé à Leyme qui accueille les jeunes enfants, il n’y en a pas énormément au niveau régional, ni même au niveau national.

Nous avons la chance d’offrir ce service qui n’accueille pas seulement les enfants de notre département, mais aussi des enfants d’autres départements.

Nous accueillons notamment des enfants de la région Occitanie, ce qui est intéressant.

Quels types de profils de jeunes patients accueillez-vous ?

Cela fait douze ans que je suis dans ce service, et il a beaucoup évolué. Au départ, il s’agissait d’une structure plutôt dédiée aux pathologies évolutives comme les troubles du spectre autistique et des handicaps lourds.

Dorénavant, ce sont plutôt des profils médico-sociaux qui émergent. Actuellement, pour la plupart des patients pour lesquels nous sommes sollicités, ce sont plutôt des profils que nous appelons, et c’est un peu du jargon, des « abandonniques ». Ce sont des enfants qui, dans leur trajectoire de vie, ont été confrontés à ce qu’on appelle le trauma relationnel précoce.  Leurs liens affectifs, ceux de l’attachement, n’étaient pas de bonne qualité.

Ces enfants n’étaient pas portés comme ils devaient être portés. La structure de leur psychisme en a donc été impactée, mais de manière différente et variée.

C’est un peu la particularité de la pédopsychiatrie, celle du temps que le tableau clinique vraiment se cristallise et que l’on puisse vraiment poser un diagnostic définitif, en admettant qu’un diagnostic définitif pour parvenir à changer le psychisme, existe.

 

Ceci est une vraie question. Le tableau clinique peut être assez flou, assez varié, et souvent nous avons besoin de temps.

Nos patients développent ce que nous appelons des « symptômes gênants », souvent au niveau de la sphère comportementale. Ils ont des troubles du comportement, associés à des passages d’une grande violence et d’une extrême gravité.

En psychiatrie adulte, on ne s’imagine pas toujours à quel point les crises comportementales des « petits bout de choux » peuvent être violentes. On les taxe d’un « tempérament fragile ». C’est un propos qui me fâche un peu.

 

Il faut savoir qu’au cœur de cette violence, il y a une vraie désorganisation corporelle, intellectuelle, émotionnelle, et qu’il est parfois très compliqué de récupérer cette désorganisation.

Ce sont des enfants qui épuisent souvent toutes les structures d’accueil, ce qui implique des mesures de déplacement. Parfois, ce sont aussi des enfants que l’on retrouve dans des hôpitaux ou dans le médico-social.

Ces crises étant compliquées à gérer, on se tourne alors vers la psychiatrie, en nous disant : « Que pouvez-vous faire pour nous ? Vous êtes les seuls à pouvoir nous aider ! ».

 

Pourquoi ce service est-il crucial ?

Il est indispensable de prendre en charge ces enfants, parce qu’on voit des pathologies de développement mental qui peuvent se transformer en troubles psychotiques, en troubles de déficit ou de la personnalité chez les adultes.

 

On arrive à tracer cette trajectoire. Je crois même qu’on a intérêt à s’en occuper dès qu’on peut, parce qu’on est aussi dans une perspective préventive. En psychiatrie, la prévention a une grande place.

Bien sûr, il y a toujours ces questionnements : « Qu’est-ce qui relève de la psychiatrie à proprement parler, qu’est-ce qui relève de la santé mentale, qu’est-ce qui relève des soins et qu’est-ce qui relève de la prévention ? »

Si nous voulions nous concentrer uniquement sur des pathologies psychiatriques franchement caractérisées, finalement, on ne ferait peut-être pas grand-chose.  Je crois que nous sommes aussi dans le champ de la prévention pour essayer d’agir sur cette trajectoire de développement mental.

Comment essayez-vous de remédier à ces troubles ?

Ce que nous avons mis en place, ce que nous continuons à élaborer – c’est un peu une nouveauté dans le projet du service -, c’est ce qu’on appelle le dispositif d’hospitalisation séquentielle.

Il faut savoir qu’Hop’Ti’Mom est un service qui ferme le week-end. Notre dispositif, ce sont des hospitalisations limitées dans la durée, mais programmées sur un temps plus long.

Ce programme peut s’étendre sur une année, deux ans, parfois même plus. Cette prise en charge s’adresse vraiment à des enfants qui ont besoin de développer un lien à l’autre dans un lieu précis. C’est ce que nous essayons de mettre en place autour de ces enfants : La thérapie par l’environnement.

Leur expérience précoce fait que le lien à l’autre, à un moment donné, n’a pas fonctionné. Ils se sont fait rejeter, ils se sont fait maltraiter, et ils ont été abandonnés.

 

Lorsque le lien à l’autre devient dangereux, il faut alors s’en défendre. En même temps, l’être humain ne peut pas survivre en dehors du lien à l’autre. C’est ce qui fait la complexité de la chose, pour un enfant comme pour un bébé c’est une situation invivable.

Il y a donc ce double mouvement de ces enfants vers l’autre : « Soit avec moi, mais non, abandonne-moi pour que je ne sois pas à la merci de ce que je redoute. »  Cette violence qui peut également venir de l’extérieur. Le résultat est celui-ci ; « parce que je ne fais pas de travail sur moi, en tant qu’enfant, je vais l’attaquer ». 

Et c’est la raison pour laquelle, ces enfants, lorsqu’ils restent trop longtemps quelque part, à un moment donné, cela devient insupportable parce que les autres enfants vont les chercher, les solliciter, mais aussi les attaquer.

Quelles solutions proposez-vous ?

Il faut alors créer un environnement thérapeutique, mais qui ne peut pas être porté par une seule personne, ou par une seule institution.

L’idée, c’est d’avoir plusieurs acteurs de soins qui peuvent créer un environnement où l’enfant peut être porté sans rentrer dans ce qu’on appelle très joliment le phénomène « de la patate chaude ». 

Je n’accepte plus d’entendre : « Non, ce n’est pas psychiatrique, c’est éducatif, » ou « non, ce n’est pas éducatif, c’est psychiatrique, » alors que ça peut être plusieurs choses à la fois. Cela n’a aucun sens de se demander si, chez les enfants, c’est psychiatrique ou éducatif.

Si l’on accepte l’hypothèse, (qui est désormais largement acceptée), que le développement de notre psychisme est lié à notre cerveau, et si l’on accepte aussi l’hypothèse que le cerveau et le psychisme humain sont très peu déterminés génétiquement et sont sous influence des facteurs environnementaux, on ne va pas dire que c’est un sujet éducatif.

Nous savons qu’à un moment donné, des soucis éducatifs peuvent impacter très gravement le psychisme. Il y aura donc toujours ces aspects éducatifs, familiaux, ou psychiatriques.

Tant que l’on s’en occupe tôt, on peut le gérer. Mais si nous ne faisons rien, des pathologies caractérisées finiront par se développer.

 

Comment cela se traduit-il en terme de thérapie ?

C’est un bon terme. On cherche un acte thérapeutique. On cherche quelque chose qui va devenir thérapeutique.  Je dis toujours : « Nous, les psys, on n’a pas le monopole du psychisme, et on n’a pas le monopole des actes thérapeutiques ».

Les actes peuvent devenir thérapeutiques en étant posés par d’autres personnes et dans un autre lieu.

Il y a un peu parfois cette pensée magique, puisqu’il a une souffrance psychologique, il faut qu’il aille voir un psychologue : « Tu vas voir la dame, il faut que tu parles et tout ira bien ». 

Parfois cela fonctionne ainsi, mais ce ne sont pas les enfants qui sont hospitalisés ici, à l’Institut Camille Miret.