« Quand une équipe va bien, les patients vont mieux »

L’Unité Fermée d’Hospitalisation et de Crise (UFHC) est une unité fermée du Centre Hospitalier Jean-Pierre Falret pour traiter les patients en crise aigüe – et de ce fait, cette unité située à Leyme est une des plus mystérieuses de l’institut Camille Miret. Le Dr Pierre Saunière nous explique ce qui s’y passe, loin des fantasmes et des clichés. (1ère Partie)

Pourquoi l’Unité d’Hospitalisation et de Crise (UFHC) est-elle une unité fermée ?

L’unité est fermée en priorité pour les patients eux-mêmes qui, sans ça, se mettraient en danger et se soustrairaient aux soins nécessaires temporairement.

On le comprend en cas de crise suicidaire, parfois aigüe, avec un désir très prégnant et immédiat de se donner la mort.

Mais éviter la mise en danger c’est aussi lorsque des personnes sont agressives en raison d’un problème psychiatrique vis-à-vis de tiers ou dans la famille, où leur comportement peut les placer au ban de la société et les placer dans des situations préjudiciables pour eux.

Le fait de les enfermer c’est avant tout pour protéger ces personnes.

Combien avez-vous de patients ?

On en a une quinzaine, et l’unité est pleine à 90%, mais on essaie de garder une place ou deux pour les urgences et pour des hospitalisations imposées par la préfecture.

L’idéal, c’est de garder deux places libres pour les hospitalisations à venir.

Quels types de patients recevez-vous ?

C’est très varié, on reçoit énormément de profils différents. Sur l’UFHC, on a trois grands types de patients : des problématiques suicidaires, des problématiques comportementales en lien avec des troubles de la personnalité et des problématiques de psychose, c’est-à-dire des difficultés de contact avec la réalité, des phénomènes délirants et hallucinatoires.

Après, nous avons beaucoup de problématiques liées à l’addiction et quelquefois des problématiques de crise chez la personne âgée.

Aucun patient ne se ressemble !

Même à l’intérieur de ces chapitres, on a une variété infinie de possibilités pour peu qu’on essaie d’avoir une approche qui n’est pas trop dogmatique et centrée sur le diagnostic, mais plus une approche humaine.

C’est ce qui me plaît : avoir une approche humaniste, pour utiliser un grand mot. C’est ce qui me plaît dans la crise, ainsi que dans le travail d’équipe.

Je perçois une équipe de soin comme un outil thérapeutique en lui-même, qui fait corps. La direction d’une équipe thérapeutique est, en soi, un outil thérapeutique.

C’est-à-dire ?

Diriger une équipe, c’est une espèce d’artisanat, entre guillemets, un compagnonnage qui a des conséquences sur le bien-être des patients.

On a une charge de travail importante au niveau infirmier et aides-soignants, mais aussi pour les médecins. En plus, on a des astreintes. Dès que des gens sont absents ou en vacances, notre charge de travail s’alourdit.

Ce qui peut être compliqué parfois, c’est qu’on fonctionne en vase clos dans ce service. On fonctionne un peu comme une « famille » et ça peut être étouffant.

J’ai coutume de dire : « Quand une équipe va bien, les patients vont mieux. »

Il faut essayer d’écouter les états d’esprits de chacun, leur ressenti, éventuellement l’émergence de leur satisfaction ou de difficultés. Il faut en faire quelque chose.

La faute n’est pas de ressentir des émotions par rapport aux patients, la faute c’est de ne rien en faire et d’être en contre-réaction par rapport à des patients qui sont parfois déstabilisants.

C’est une lourde responsabilité pour un médecin !

Les personnes qu’on reçoit à l’unité sont hospitalisées sans consentement.

Ces décisions sont réévaluées très régulièrement, d’abord dans les 24h qui suivent l’entrée, ensuite dans les 72h après l’entrée, et éventuellement tous les mois.

La durée moyenne de séjour est inférieure à 10 jours, parce que ce sont des crises aiguës ou que les personnes vont être transférées dans d’autres unités.

C’est une lourde responsabilité et une question de devoir par rapport à la question des droits et de la citoyenneté. On a un pouvoir qui est vraiment très important, qui est d’attenter et de suspendre temporairement une liberté fondamentale qui est la liberté d’aller et venir.

J’ai le sentiment d’être en questionnement permanent sur le bien-fondé de cette décision de maintenir la privation de liberté.

Quel est votre parcours ?

Je suis à l’institut depuis 2003, ça fait un peu plus de 20 ans. A la base, j’ai une formation de médecin-généraliste puis de gériatre.

Je me suis ensuite orienté vers la géronto-psychiatrie et en fin de poste, j’étais chef de pôle jusqu’en 2014 – où j’ai bifurqué en psychiatrie adulte sur l’Unité Fermée d’Hospitalisation de Crise en tant que psychiatre.

Je suis un vieux médecin mais un jeune psychiatre d’adulte, passionné par le travail hospitalier en général et la crise en particulier.

Comment vivez-vous ce questionnement en tant que psychiatre ?

Je trouve ça passionnant, parce que d’un point de vue humain, philosophique et éthique, c’est une mise en pratique de grands principes passionnants.

En même temps, c’est fatiguant. La vérité n’est inscrite nulle part. On est conscient que dans certaines décisions, il y a une part de subjectivité.

D’où l’intérêt d’être accessible au doute, de pouvoir s’appuyer sur l’avis d’autres confrères des équipes, de l’assistance sociale.

Je suis friand de pluridisciplinarité et d’inter-subjectivité dans la décision, ce qui fait qu’on ne se transforme pas en un service trop autoritaire ou trop directif.

Une des qualités d’un service comme le nôtre c’est de douter et de rester prudent.

Le doute laisse la place à d’autres perspectives ouvertes pour les patients, même si, un moment, le doute s’arrête et il faut prendre une décision,

Les patients arrivent dans le service en nous racontant des choses qui sont assez incroyables, mais dans certains cas, ils racontent des choses qui leur sont vraiment arrivées, même si la perception peut être un peu faussée.

Souvent, une écoute respectueuse et tolérante de ce que les gens nous racontent au départ, même si ces choses sont un peu délirantes, c’est intéressant, parce que la personne se sent respectée dans ce qu’elle dit.

C’est une bonne amorce pour tisser une relation thérapeutique où on met en place des traitements et une alliance thérapeutique au long cours, avec, chez certains, l’acceptation d’un traitement contraignant.

On remercie parfois les patients d’être aussi patients avec nous.