« Sport en tête » : Bouger pour guérir

L’activité physique est au cœur de « Sport en tête », une association inter-hospitalière qui organise de nombreux évènements pour réhabiliter les patients à travers le sport. Rencontre au stade Lucien-Desprats de Cahors, pour une course d’orientation pas comme les autres.

A première vue, le stade paraît désert. Ou presque. Un groupe, puis deux, puis trois, apparaissent au loin sous la chaleur harassante de l’été, et tournent au coin d’une tribune.

Les équipes sont toutes là. La course d’orientation va commencer.

La plupart des participants s’affairent autour d’une petite table où Alexandre Senac, infirmier, et Sandy Vincent, éducatrice spécialisée au sein du Dispositif Ambulatoire de Réhabilitation et d’Inclusion Sociale (DARIS) de l’ICM, ont étalé une carte de la ville.

Les règles sont simples, trouver sept portes à l’aide d’indices, en un temps limité.

Les participants, une soixantaine, divisés en 14 équipes, sont venus de tous les hôpitaux psychiatriques du grand Sud-Ouest (Toulouse, Montauban, Auch, Marmande, Agen, Lavaur, Lannemezan). Ceux de la Rochelle, comme à chaque rendez-vous, ont traversé la France pour y prendre part.

Une fois les règles posées, chaque équipe s’élance à l’assaut de Cahors. Mais le jeu n’est qu’un prétexte, explique Maxime Combe, infirmier, lui aussi, au DARIS.

« Le but, c’est d’amener au maximum les patients vers l’extérieur. C’est un entraînement grandeur nature dans un cadre bienveillant, » ajoute-t-il.

Pas du loisir

Règle bonus : chaque équipe a reçu une patate, que les participants vont devoir échanger en ville contre un autre objet pour obtenir en fin de course quelque chose d’une valeur supérieure.

Une équipe revient avec de l’encens, une autre avec un carnet… et encore une autre, triomphante, revient avec une bouteille de rosé.

« On a trouvé une pizzeria qui avait besoin de patates, ils nous ont filé ça directement », expliquent-ils, essoufflés. Le rosé ne sera pas bu, mais mission accomplie pour des patients souvent timides. « L’idée du troc, c’est d’aller vers l’autre, de communiquer et d’échanger », explique Maxime.

« Le sport n’est qu’un support », souligne Jésus, infirmier de l’Institut Camille Miret à la retraite, un des premiers à avoir porté ces initiatives autour du sport à Cahors. « C’est un soin à part entière, ce n’est pas du loisir ».

Depuis l’après-guerre, l’association européenne « Sport en tête » regroupe les associations sportives des établissements psychiatriques pour promouvoir le soin à travers le sport. Depuis, ils sont nombreux comme Sandy, Alexandre, Maxime ou Jésus à perpétuer cette tradition pour offrir un autre genre de soin « hors des murs » pour « un paquet de monde ». Ils organisent une vingtaine d’évènements sportifs par an, du basket à la pétanque en passant par le billard.

Certains rentrent à peine d’une séjour thérapeutique assez exceptionnel, une semaine de voile à l’hôpital de la Rochelle qui leur a mis à disposition son voilier. Une activité, validée par le directeur des établissements de santé de l’ICM, Franck Antetomaso, impensable pour certains quelques mois plus tôt. « La semaine dernière, on était à Montauban pour une grosse session de rugby toute la journée, par exemple », raconte Alexandre. « Le sport, c’est médiateur », explique Jésus. « Ça permet de retrouver le lien social, de sortir des murs ».

Les patients travaillent leurs habiletés sociales, comme se repérer en ville, faire les courses pour le repas commun du midi ou traverser les passages piétons au bon moment, entre autres. « Souvent ils sont dans leur truc, ils traversent et ne regardent pas », souligne l’ancien infirmier venu aider ses anciens collègues.

Ces « habiletés sociales » incluent la préparation du pique-nique, comme Arnaud, resté avec les organisateurs ce jour-là. « Tu viens aider pour le pique-nique, Arnaud ? » lance Sandy. Il s’exécute alors que les champions d’un jour commencent à revenir, à leur rythme, certains en courant, d’autres en marchant.

« On est les premiers ! » s’écrie l’un d’eux, avant de s’apercevoir un peu déçu que d’autres reprennent déjà leur souffle sous les feuillages. Malgré la déception, le fait de s’engager est déjà un pas en soi, souligne Maxime.

« Quand ils s’engagent, il y a un cheminement, ils se projettent », dit-il.

Pied d’égalité

Les soignants prennent eux aussi part à la course, au même rythme que les patients et sans signe distinctif. « On n’a pas la barrière de la blouse, les soignants et les patients sont égaux ici », souligne Maxime.

Cette méthode permet de créer un lien de confiance et les activités ne sont pas choisies au hasard. Elles sont le fruit d’une réflexion menée en amont par les médecins et les soignants pour offrir au patient une activité qui lui conviendra au mieux dans le cadre d’objectifs de soin très précis. « C’est une question de dosage, » ajoute Jésus. « C’est un travail de groupe mais individualisé pour chacun, c’est très ciblé. »

« On n’a jamais dit non à un patient, et si le désir est là, on sera là pour les aider dans la difficulté », soutient Alexandre. Alexandre déplore toutefois la réticence de certains médecins qui voient ces activités physiques d’un œil sceptique.

« On nous dit: vous allez les épuiser, et la compétition va les mettre mal à l’aise », dit-il, en ajoutant que c’est tout le contraire. « Nos meilleurs ambassadeurs sont les patients, » confie-t-il.

« Beaucoup reviennent avec la banane, en disant : j’ai pas eu d’angoisse, je me suis éclaté », raconte Alexandre.

Prochaine étape : l’association sportive

 Mettre en place ce genre d’initiative est gratifiant, mais des journées pareilles demandent beaucoup d’efforts aux soignants qui prennent sur leur temps personnel pour aider les patients.

« Le DARIS coopère déjà avec le Comité Départemental de Sport Adapté du Lot (CDSA) pour permettre aux patients de participer aux compétitions locales, régionales et nationales », précise Edouard Bernardelli, Conseiller Technique Fédéral au comité, venu présenter plusieurs sports adaptés pour une après-midi ludique de découverte.

Mais il faut coordonner les rencontres entre hôpitaux, réserver les salles, informer la ville. L’équipe travaille en étroite collaboration avec la cadre administrative du pôle de Cahors, Cécile Saigne, et le Dr Kierzek, médecin-chef en charge du secteur. Malgré tout, les moyens manquent un peu, à l’inverse des idées. L’ambition des soignants ? Créer une vraie association sportive, « comme à l’hôpital de la Rochelle ou la Fondation Bon Sauveur à Albi », qui leur permettrait de demander des subventions sans rogner sur le budget déjà serré de l’Institut Camille Miret.

« Ça nous permettrait d’organiser plus de journées sans impliquer le budget de service », explique Maxime. « L’association nous donnerait un coup de boost, abonde Alexandre, et nous permettrait de fonctionner toute l’année sans toucher au budget sociothérapie ». « Tout le monde est gagnant, et surtout les patients », dit-il.

Une demande entendue et soutenue par la Direction Générale qui travaille d’ores et déjà sur les statuts pour que cette association sportive de l’Institut Camille Miret voit le jour dès début 2025.